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Tangente Éducation 41

Des « anti-sèches » autorisées

par Martine Brilleaud



8h du matin, salle de devoir.
Les élèves s'installent à leur table, sortent leur trousse, leur matériel, une feuille de brouillon, des copies doubles et...leur fiche d'aide. Il s'agit d'une feuille format A4, recto, sur laquelle ils ont eu le droit d'écrire ce qu'ils voulaient pendant la préparation du DS à la maison : formules, méthodes, exemples, conseils, et même, de recopier le cours s'ils le souhaitent. Ils se mettent au travail, la fiche bien en évidence sur la table. A la fin du devoir, elle sera rendue avec la copie, les obligeant à en préparer une nouvelle pour le devoir suivant.

L'idée d'utiliser une fiche d'aide au lycée est née d'une discussion avec des enseignants de l'université où l'accès aux documents pendant les épreuves est une pratique répandue. Pourtant, l'accès libre à n'importe quel type de document (livre, cours, polycopié...) en n'importe quelle quantité pose problème puisque, en pratique, les étudiants passent plus de temps à compiler des livres qu'à réfléchir sur l'énoncé, pensant, à tort, qu'ils peuvent se dispenser du travail de préparation. Certains enseignants ont alors limité cette pratique, ne permettant l'utilisation que d'une unique feuille.

Au lycée, l'objectif est avant tout que les élèves apprennent à structurer leur cours et à en extraire ce qui est important. La première fois, ils sont plusieurs à recopier intégralement le cours en tout petit. Ils s'aperçoivent bien vite... que ça ne sert à rien. Un cours non compris, même à disposition, est inexploitable. En outre, le prétexte d'oubli de formule pour justifier un mauvais résultat devient inutilisable lorsqu'on a accès aux documents. Résultat : beaucoup moins de contestation et de fausses excuses lors du rendu des devoirs. Les élèves se sentent à présent complètement responsables de ce qu'ils écrivent. Et pour l'enseignant, l'impression est de s'approcher davantage de l'évaluation du niveau réel des élèves puisqu'on a évacué ce qui relève de la mémorisation.

Un système donnant-donnant qui permet une augmentation du niveau d'exigences

Si les élèves ont droit à une fiche d'aide, en quelque sorte une version officielle de l'anti-sèche, ils sont prévenus qu'en échange les devoirs portent sur l'ensemble des travaux effectués depuis le début de l'année. La somme des savoirs exigibles augmente, alors que la taille de la feuille, restée fixe, oblige à faire des choix, à trouver des méthodes. Il paraît, en outre, assez aberrant de n'évaluer que des connaissances éphémères, valables le temps d'un chapitre. L'utilisation de la fiche d'aide permet donc d'évaluer, sur le long terme, des connaissances en constante évolution et sur lesquelles on peut revenir tout au long de l'année. Ce seront ainsi les derniers devoirs du troisième trimestre qui offriront la vue la plus exacte du niveau de connaissances atteint par l'élève.

L'utilisation de la fiche d'aide s'accompagne ainsi d'une modification des exigences lors des devoirs. A celles-ci s'ajoutent l'exigence de contenu et celle de rédaction. Finies les questions de mémorisation utilisées pour grappiller des points. On peut, à présent, avant de mettre des points, exiger d'aller bien plus loin que la simple énonciation du théorème. Quant à la rédaction, s'il est permis de se servir d'un théorème noté à l'avance sur la fiche d'aide, il convient de l'énoncer correctement, dans le contexte du problème et avec toutes les notations ad hoc ; la rigueur et la précision dans l'expression faisant désormais partie des critères d'évaluation.

Les fiches d'aide pour évaluer et s'auto-évaluer

Une étude sur le rôle des fiches d'aide a été commencée à l'IREM de Grenoble. Il s'agit de vérifier si l'on peut corréler le niveau de maîtrise d'un savoir avec la trace écrite sur la fiche d'aide. On observe, par exemple, que les bons élèves écrivent peu sur leur fiche alors qu'un élèves en difficulté écrit souvent son cours in-extenso sans discrimination de contenus. Il est incapable de relever ce qui est pertinent du point de vu de l'objectif (pour réussir le devoir, il est, par exemple, plus utile de connaître des méthodes de résolution que de disposer des définitions exactes) ou d'évaluer son propre niveau de compréhension (il existe ainsi des éléments du cours, déjà acquis, qu'il est inutile de réécrire sur la fiche ). L'étude des fiches permet d'observer des paliers pour un savoir donné allant de débutant à expert. L'objectif est de se servir de ces informations pour évaluer plus finement le niveau d'acquisition, pour un élève, d'un savoir à un instant donné.

Dans leur dernière version, les fiches, distribuées à l'avance, listent les savoirs et les compétences à maîtriser, permettant ainsi aux élèves de s'auto-évaluer avant le devoir. L'enseignant a ensuite la possibilité de comparer l'évaluation personnelle de l'élève (au recto de la fiche) avec la synthèse écrite des connaissances dont ce dernier estime avoir besoin pour le devoir (au verso ). Il peut ainsi vérifier la cohérence entre les deux informations et donc connaître la capacité d'un élève à évaluer son propre savoir et à réagir en conséquence.

Un exemple

L'exemple suivant montre une façon pour l'enseignant d'utiliser la fiche pour tenter de repérer une mauvaise conception chez un élève.
Dans une question, pour démontrer qu'un quadrilatère est un losange, l'élève montre que deux côtés adjacents ont même longueur, «oubliant» qu'il faut aussi s'assurer que le quadrilatère est un parallélogramme.
En se reportant à sa fiche, il y a essentiellement trois possibilités de traces écrites :
• Premier cas : aucun élément ne se rapporte à la caractérisation du losange. On peut penser que l'élève n'a pas travaillé cette partie du cours ou qu'il a surévalué son niveau de compréhension du sujet.
• Deuxième cas : tout est mentionné correctement dans la fiche. Le cours a probablement été recopié sans être compris.
• Troisième cas : on découvre sur la fiche un «nouveau» théorème. Dans notre exemple « Si un quadrilatère a deux côtés adjacents de même longueur alors c'est un losange ».
On retrouve ainsi parfois sur la fiche d'aide des erreurs que l'on peut pister jusque dans le cahier de cours !

Cette étude détaillée des fiches par l'enseignant reste bien évidemment une possibilité qui ne peut être utilisée de manière systématique avec tous les devoirs. Elle demeure néanmoins très utile pour aider les quelques élèves qui restent en difficultés malgré d'importants efforts.

Les élèves semblent apprécier ce système qui les rassure sur leurs capacités et leur permet de se situer par rapport à leur niveau de connaissance. À la fin de l'année, la plupart déclarent ne plus avoir besoin de consulter la fiche d'aide qu'ils ont apportée pour le devoir. C'est l'objectif ! Être capable de structurer ses connaissances de telle façon que leur assimilation se fait de façon automatique.